HANAN EL-CHEIKH POSTE RESTANTE BEYROUTH

Publié le par Lydie Bla

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Léonardo Da Vinci

 

 

Hanan EL-CHEIKH-Poste Restante Beyrouth-ACTES SUD 1995

Titre original Barîd Bayrouth-Dâr Al-Hilâl- Le Caire 1992.

 

 

Une jeune femme écrit de longs courriers à des correspondants, amies, famille, correspondants imaginaires, Billie Holidays est au milieu de ces inconnus dont nous découvrons peu à peu le destin, destins lié à celui de Madame la Guerre, destins épars dispersés au fin fond des profondeurs du chaos qui se régénère dans son propre non sens.

Tout au long de ce texte, tout au long de cette source fraîche de mots liés les un aux autres en une magnifique prière, résonnent les voix d’Oum Kalthoum, de Fairuz, leur long cri mélodieux déchirent la très longue nuit qui ne finit de s’insinuer dans le ciel Libanais. Ces voix portent les souffrances de l’espoir, de l’amour, de l’attente, de la nostalgie, ces plaies béantes qui ne se refermeront pas. La vie se détache d’elle-même et devient pourtant  le détail incontournable, l’insondable mystère, très universel de s’attacher au moindre souffle qui bruisse comme par omission. L’infini réside dans ces petits plaisirs, parsèment le temps devenu immobile au milieu de ce que la raison a depuis trop longtemps déserté.

Les pleurs, le pathos sont absents de cette voix qui ne fait rien d’autre que de donner un sens quotidien à la minute qui suivra ou ne suivra pas. Beyrouth, la superbe, déchirée par les bombardements, partitionnée, un pays occupé  perd peu à peu son identité, assiégé par de multiples ennemis dont la désignation est devenue dérisoire. « et les analystes politiques pourraient continuer à affirmer qu’il est aussi impossible d’analyser ce qui se passe au Liban que de saisir des gouttes de mercure ». Hizbollah, Hamas, Israéliens,Syriens, milices chiites, druzes ou chrétiennes, peu importe car tel n’est plus le propos. La plaine de la Bekaa autrefois verger de lune et de miel, de ces fruits que célèbrent les trois livres saints, n’est plus qu’un vaste champ de haschich et de pavot dont les plants s’étendent à perte de vue, les poumons de la guerre. Tout comme le soleil continue de se lever sur cette terre, ceux qui y sont attachés poursuivent l’histoire exactement là où ils l’avaient commencée, leur histoire, celle que nul ne pourra jamais leur arracher. La vie supplante la mort dans un magnifique et arrogant pied de nez.

La voix de Hanan El-Cheik si troublante, porte la très douce et incisive caresse d’une ode à la vie, une très insinuante prière qu’un muezzin de l’aube réveillerait à nos oreilles, elle est la voix de notre Orient, celui sur lequel soleil ne se couche jamais. Ces tranches de vie de femmes qui célèbrent la liberté, sont l’ultime refuge au milieu de l’horreur devenue banale au quotidien. L’attente née de l’amour pour chacune des femmes qui traversent ce roman prend les formes de l’allégorie de la vie, cette attente était avant la guerre et perdure en elle, comme l’évidence de la vie même qui n’est rien d’autre qu’un voyage borné à travers le temps.

Lire cette voix, se laisser bercer par la sublime mélodie qu’elle exhale, transporte sur les chemins de la beauté transcendée de pureté, unique, essentielle, et urgente d’un voyage au cœur de l’humanité, celle qui ne s’accommode d’aucuns fards, qui se suffit à elle-même.

Lydie Bla                                                                   

 

Hanan EL-CHEIKH-Poste Restante Beyrouth-ACTES SUD 1995

Titre original Barîd Bayrouth-Dâr Al-Hilâl- Le Caire 1992.

Publié dans L'air du temps

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