LA PROMESSE FAITE A MA SOEUR- Joseph NDWANIYE

Publié le par Lydie Bla

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LA PROMESSE FAITE A MA SŒUR- Joseph NDWANIYE

Editions Impressions Nouvelles- 2006

 

 Nous sommes en 2003, Jean, Rwandais exilé en Belgique,  prend le chemin de Kigali après 17 années d’absence, 17 années tout au long desquelles il est resté éloigné de son pays. Il y rentre avec la douleur et la culpabilité de n’avoir pu être présent au moment où la nuit la plus noire s’abattait sur son pays. Seule sa mère et sa jeune nièce ont  survécu aux massacres. Sa sœur et sa famille, ont été exécutés de la pire manière, comme bon nombre de Rwandais. Les lettres de sa mère lui ont appris que son frère jumeau est porté disparu, son épouse et ses enfants n’ont,  eux non plus,  pu échapper  aux massacres.

Les retrouvailles avec sa mère sont celles de la révélation d’un secret, celui qu’elle n’avait osé lui avouer dans ses lettres, par égard que confère souvent la pudeur au milieu de l’horreur. Thomas n’a pas disparu, il est emprisonné, accusé d’avoir été vu, machette à la main sur une des nombreuses barricades dressées par les « interharwés ». L’enjeu du voyage de Jean, prend à cet instant  une dimension nouvelle : partir à la rencontre de son frère, recoller les blocs de sa propre histoire d’exilé perclus de la culpabilité de n’avoir pu, à défaut de sauver les siens, être présent à leurs côtés pour partager leur sort.

 

La culpabilité exhale chacune des lignes de ce roman, incrustée et tenace, elle hante les survivants du Génocide, les plonge dans un exil  intime, qui les isole de leur propre histoire, leur confère un statut d’étrangers au milieu de leurs propres existences. Tous sont en quête d’une omission salutaire, celle qui autorisera leur esprit à soulager leurs consciences meurtries. Celle qui consiste à retrouver, malgré tout, les symboles qui marquaient leur vie d’avant le Génocide, pour la reprendre là où elle s’est égarée. Aucun des personnages de ce roman n’échappe à cette règle, malheureusement, la vague d’atrocités déferlante qui s’est abattue sur le Rwanda, a tout laminé sur son passage, laissant les rescapés face à leur solitude douloureuse et lancinante.  Le destin de toutes ces âmes sont l’allégorie  d’un pays qui tente de renaître malgré tout, des cendres de son cauchemar. 10 années se sont écoulées depuis le temps où  la nuit rouge s’est abattue sur le Rwanda, mais les stigmates de l’horreur continuent de jouer à cache-cache avec la mémoire des survivants, comme pour proclamer leur toute puissance, et à travers le fantôme des victimes, l’omni présence de leurs bourreaux.

 

La Promesse Faite à Ma Sœur, pour celui qui tente de résoudre les sens des équations de la vie, permet de réaliser que  les inconnues qui la constituent prennent la couleur du gris. Le blanc et le noir mélangé, le gris étant la synthèse d’une des parcelles de vérité qui préside à notre condition humaine.

En effet les mois d’avril et de mai 1994 resteront gravés à jamais dans la mémoire de chacun, tout comme fut  le 11 septembre 2001, ces instants où l’humanité entière a assisté impuissante au déferlement de la plus pure expression  de ses propres ténèbres. Le roman nous plonge au cœur des mystères qui président à  la condition humaine, celle de ces millions d’âmes besogneuses que nous sommes, occupées à gérer  leurs propres existences, du mieux qu’elles le peuvent, capables du meilleur, comme du pire. Y sont cristallisées la présumée culpabilité de Thomas-resté absent du drame Rwandais- confrontée à celle présumée aussi, de Jean, son frère jumeau. La question courageuse qui se dessine au travers des lignes du texte, renvoie chacun d’entre nous à un questionnement intime qui marque les frontières de nos propres abysses et limites. En d’autres termes la véritable question ne tourne pas autour de la culpabilité de Jean ou de Thomas. Elle est plutôt contenue dans les ferments qui ont présidé aux destinées de ces deux frères jumeaux. La réponse qui semble s’imposer, est que chacun d’entre eux ont fait les choix qui s’imposaient à eux en fonction de l’évaluation de leur environnement immédiat. Tout comme la plupart d'entre de nous, projetés dans les mêmes circonstances. Le terme exact qui nous rappelle aux paramètres bornés de notre condition humaine, délimitent nos seuils individuels et intimes, que seule l’horreur,  pourrait nous amener à découvrir  dans la pleine complexité de leurs étendues.

 

Cette lecture renvoie en écho, dans une certaine mesure, à celle de Beyrouth Poste Restante de Hanan El Cheichk, à l’expression de ce que la vie parvient à survivre à l’horreur à travers les gestes les plus insignifiants, y compris à ceux qui consistent à ne s’intéresser qu’à la minute qui suivra. Jean, sur le chemin qui le mène à Thomas, s’arrête sur les rives majestueuses du Lac Kivu dont la beauté immuable symbolise l’imposante force de cette vie qui se porte à retrouver son chemin en digérant les cadavres de l'histoire.

La force de ce texte réside dans la narration nue, celle qui livre sa propre histoire à une incontournable rencontre avec les dedans les plus intimes du lecteur.

 

Lydie Bla N'Guessan

Publié dans L'air du temps

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